La haine de la musique
Publisher:
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Première:
2014, Ensemble TM+, Laurent Cuniot cond., Lionel Monier actor, Christian Gangneron staging, Festival Musica, Cité de la Musique,
Strasbourg.
Year
2013-14
Commission:
Ministry of Culture, France
Duration:
1 h 10 min
La haine de la musique – 2013-14
for an actor , ensemble and electronics on the essai ‘La Haine de la Musique’ by Pascal Quignard.
It was a sonic upheaval that I had when reading « La haine de la musique » by Pascal Quignard. The terrible paradox that is at the very heart of the essay immediately attracted me by the strength of its originality. The initial thesis as well as the perspective that it opens are surprising and unexpected: music hurts and we cannot escape it. We never free ourselves from sound, wherever we are. Forced to listen, we live surrounded by imposed sounds, a basso obbligato, a continuous music that has always persecuted us, thus conditioning our history and our relationship with the world
My upheaval also came from Quignard’s writing itself. By the subjects and the poetry of the text, of course, but also by its structure and the subtlety of its rhythm. The form of the essay is built with often brief parts, dealing with subjects that systematically come back. The images then resurface like a hum that we forget, but which is still there, haunting. Quignard then creates a network of subjects within subjects, themes within themes, paths that circulate simultaneously and by echoes.
The music that I composed for « La haine de la musique » was told to me by the story itself, its images, its references, its allegories, but especially by the spaces that it tells and that open up before us: the minimum hearing of twilight, the kingdom of silence that we reach after three days spent in the darkness of the night, the silent cove of a fisherman and his boat in the light of dawn, the vision of paradise at the very moment when it will be lost forever… Each place is told to us like a detailed scenography of sound.
It is then that, evolving in a space reflecting the musical and visual world deployed by his thoughts, a man, a character, bewitches us with his mysterious story. He tells us about his visions of sound and music, about their unsuspected meanings and powers. His story pierces us, just like music, which, ignoring our own skin at all times, reaches us without us being able to defend ourselves. To seek salvation in silence at the very threshold of night carries the risk of madness, of letting oneself be immersed in a definitive silence, a deathly silence.
In his visions, music is an instrument of submission and an instrument of war. The taut string of the bow and the vocal cord are one and the same string: it can kill from a distance in ways that are as invisible as they are inexplicable. Each vibration, each sound then becomes a tiny terror that governs us.
But it is also by listening to sounds that the first signs of life have reached us, warning us of the outside that awaits us. This even before our birth, before we can breathe, see, scream.
In his universe, music is at the origin of all our journeys. Men, guided by the echo in the darkness of a cavity as nocturnal as it is resonant, gave birth to art. They sought to represent in the deepest night their own dreams, freeing themselves at the same time from their own fears. This echo space, like all echo spaces, is a temple from which one can only emerge transformed. Or from which one does not emerge.
Other men will be blinded and attracted by other music, they will be caught and swallowed up by a sonorous and devouring sea.
Music attracts, music is a hook that chains us in fascination. It attracts us and it loses us.
We must then abandon everything. Abandon ourselves. Cross the sonorous sea and get lost. Shipwreck.
Daniel D’Adamo
La haine de la musique – 2013-14
pour un comédien, ensemble et électronique sur l’essai ‘La Haine de la Musique’ de Pascal Quignard.
C’est un bouleversement sonore que j’ai eu en lisant La haine de la musique de Pascal Quignard. Le paradoxe terrible qui est au cœur même de l’essai m’a tout de suite attiré par la force de son originalité. La thèse initiale tout comme la perspective qu’elle ouvre sont surprenantes et inattendues : la musique fait mal et on ne peut pas lui échapper. Nous ne nous affranchissons jamais du son, où que l’on soit. Contraints d’écouter, nous vivons entourés de sons imposés, un basso obbligato, une musique continue qui nous a toujours persécutés, conditionnant ainsi notre histoire et notre rapport avec le monde.
Mon bouleversement est aussi venu par l’écriture de Quignard elle-même. Par les sujets et la poésie du texte, bien sûr, mais aussi par sa structure et la subtilité de son rythme. La forme de l’essai est bâtie avec des parties souvent brèves, traitant de sujets qui reviennent systématiquement. Les images ressurgissent alors comme un fredon qu’on oublie, mais qui est toujours bien là, lancinant. Quignard crée alors un réseau de sujets dans les sujets, de thèmes dans les thèmes, de voies qui circulent simultanément et par échos.
La musique que j’ai composée pour La haine de la musique m’a été racontée par le récit lui-même, ses images, ses références, ses allégories, mais surtout par les espaces qu’il raconte et qui s’ouvrent devant nous : le minimum auditif du crépuscule, le royaume du silence auquel on parvient après trois jours passés dans l’obscurité de la nuit, la crique silencieuse d’un pêcheur et sa barque à la lumière de l’aube, la vision du paradis à l’instant même où il sera perdu à jamais… Chaque lieu nous est raconté comme une scénographie détaillée du sonore.
C’est alors que, évoluant dans un espace reflétant le monde musical et visuel déployé par ses pensées, un homme, un personnage, nous ensorcelle par son récit mystérieux. Il nous raconte ses visions sur le son et sur la musique, sur leurs sens et leurs pouvoirs insoupçonnés. Son récit nous transperce, tout comme la musique qui, ignorant à tout moment notre propre peau, nous atteint sans que l’on puisse s’en défendre. Chercher alors le salut dans le silence au seuil même de la nuit, comporte le risque de la folie, de se laisser immerger dans un silence définitif, un silence de mort.
Dans ses visions, la musique est un instrument de soumission et un instrument de guerre. La corde tendue de l’arc et la corde vocale sont une même et unique corde : elle peut tuer à distance de manière aussi invisible qu’inexplicable. Chaque vibration, chaque son devient alors une minuscule terreur qui nous gouverne.
Mais c’est aussi par l’écoute des sons que nous sont parvenus les premiers signes de vie nous prévenant du dehors qui nous attendait. Cela avant même notre naissance, avant que l’on puisse respirer, voir, crier.
Dans son univers, la musique est à l’origine de tous nos cheminements. Des hommes, guidés par l’écho dans l’obscurité d’une cavité aussi nocturne que résonante, ont donné naissance à l’art. Ils cherchaient à représenter dans la nuit la plus profonde leurs propres songes, se libérant en même temps de leurs propres peurs. Cet espace à écho, comme tous les espaces à écho, est un temple duquel on ne peut sortir que transformé. Ou duquel on ne sort pas.
D’autres hommes seront aveuglés et attirés par d’autres musiques, ils seront happés et engloutis par une mer sonore et dévorante.
La musique attire, la musique est un hameçon qui nous enchaîne dans la fascination. Elle nous attire et elle nous perd.
Nous devons alors nous abandonner. S’abandonner. Traverser la mer sonore et se perdre. Naufrager.
Daniel D’Adamo
Interview with Daniel D’Adamo and Christian Gangneron
Why did you choose this text by Pascal Quignard?
Daniel D’Adamo: I was immediately hooked by this extraordinary text. The subjects developped by Pascal Quignard act as leitmotifs and some of his sentences triggered real sound images in me. In a way, building a musical sensation from this text became very easy. Pascal Quignard’s book is a series of “small treatises”. To what extent do they lend themselves to becoming theatrical material?
Christian Gangneron: First of all, I like working on materials that are not immediately theatrical. Staging opera is not just about telling a story. The theatricality here is above all due to the progression of thought, to its outlines…
D. D’A. : It is a very open text, which has a great power over the imagination, which lends itself to all forms of interpretation and in which it is not difficult to find one’s way.
What is the status of this unique voice entrusted to the actor Lionel Monier?
Ch. G. : The actor is situated in an in-between, he is a character caught in a double solicitation between the text and the music. He helps the spectator to project his own images and at the same time he gives substance to the thought. We could almost speak of fictional archaeology: I try to have the actor play the situation in which we find ourselves when ideas come to us.
D. D’A. : Music is the other omnipresent character; it is embodied on stage by the musicians and the conductor, in a permanent game of presence and distance, in which electronics also participate: it widens, increases tenfold the musical space and immerses the spectators in it. This is a bit like Pascal Quignard’s lesson: you can’t escape music!
Interview by Jean-Guillaume Lebrun, La Terrasse n° 223 (August 2014)
Entretien avec Daniel D’Adamo et Christian Gangneron
Pourquoi avoir fait le choix de ce texte de Pascal Quignard ?
Daniel D’Adamo : J’ai immédiatement été accroché par ce texte extraordinaire. Les thématiques abordées par Pascal Quignard agissent comme des leitmotivs et certaines de ses phrases ont déclenché en moi de véritables images sonores. D’une certaine manière, construire une sensation musicale à partir de ce texte a été très facile. Le livre de Pascal Quignard est une suite de « petits traités ». Dans quelle mesure se prêtent-ils à devenir matériau théâtral ?
Christian Gangneron : Tout d’abord, j’aime travailler sur des matériaux qui ne sont pas d’emblée théâtraux. Mettre en scène l’opéra, ce n’est pas seulement raconter une histoire. La théâtralité ici tient avant tout au cheminement de la pensée, à ses linéaments…
D. D’A. : C’est un texte très ouvert, qui a un grand pouvoir sur l’imagination, qui se prête à toutes formes d’interprétation et dans lequel il n’est pas difficile de se frayer un chemin.
Quel est le statut de cette voix unique confiée au comédien Lionel Monier ?
Ch.G. : Le comédien se situe dans un entre-deux, c’est un personnage pris dans une double sollicitation entre le texte et la musique. Il aide le spectateur à projeter ses propres images et en même temps
il donne corps à la pensée. On pourrait presque parler d’archéologie fictive : j’essaie de faire jouer par le comédien la situation dans laquelle on se trouve lorsque nous viennent les idées.
D. D’A. : La musique est l’autre personnage omniprésent ; elle est incarnée sur scène par les musiciens et le chef d’orchestre, dans un jeu permanent de présence et d’éloignement, auquel l’électronique participe également : elle élargit, décuple l’espace musical et y plonge les spectateurs. C’est un peu la leçon de Pascal Quignard : on ne peut pas échapper à la musique !
Propos recueillis par Jean-Guillaume Lebrun, La Terrasse n° 223 (août 2014)























